MES ELUCUBRATIONS




   [ 1 / 3  ] 

La morgue de Paris

     L'histoire de la Morgue, à Paris, remonte au Moyen-Age. Durant toute cette période, elle a changée quatre fois d'emplacement. On voit naître, au fil du temps, le sentiment du respect des morts, avec la disparition de l'exposition publique. Ce n'est que tardivement que l'on comprit l'intérêt qu'elle représentait, au point de vue scientifique, médical, et médico-légal.


I - La basse geôle du Châtelet
     En 1130, Louis VI (dit le Gros) fit construire, à la place de tours en bois, deux châtelets pour défendre Paris. A cette époque, la ville se trouvait presque entièrement dans l'île de la Cité (appelée alors l'île du Palais), après la destruction, par les Vickings normands, de la ville romaine et des faubourgs situés sur la rive gauche.

     Le Grand Châtelet, construit à l'emplacement d'une forteresse qui existait déjà au temps des Romains, sur la rive droite, défendait l'accès nord et se trouvait à l'extrémité du grand pont (l'actuel Pont au Change). "C'était une forteresse à peu près carrée, avec cour au milieu et portes latérales, et était flanqué de deux tours du côté du faubourg". Tandis que l'accès sud, sur la rive gauche, était défendu par le Petit Châtelet, qui se réduisait à une porte flanquée de deux tours.
.
     En 1180, Philippe Auguste fit construire une nouvelle enceinte autour de Paris, ainsi qu'un château fort (le Louvre), rendant ainsi inutile le Grand Châtelet. Celui-ci devient le siège de la juridiction du prévôt de Paris ; il est alors transformé en prison avec, à côté, le tribunal, ainsi que des chambres de tortures, et le restera jusqu'à sa démolition vers 1800.
    "Le Châtelet, siège du prévôt, fut agrandi par suite des acquisitions qui furent faites en 1242, 1257,1258,1260 et 1265. Les bâtiments du grand Châtelet tombaient en ruine en 1460... Malgré les dons considérables que fit Charles VIII, en 1485, pour subvenir à la dépense qu'occasionnaient les réparations du Châtelet, cet édifice ne se trouva dans une situation convenable qu'en 1507. [...] En 1567, de nouvelles réparations obligèrent d'en faire sortir ce tribunal [...]. En 1672, le roi manifesta l'intention de faire construire un nouveau Châtelet plus spacieux, plus commode que l'ancien. En 1684, l'éxécution de ce projet fut commencée. On acheta trois maisons ainsi que l'église Saint-Leufroy. Les salles furent reconstruites et leur nombre augmenté ; il ne resta que plusieurs tours de l'ancien édifice sous lequel était pratiqué un passage étroit, obscur, qu'on était obligé de traverser pour communiquer du Pont-au-Change à la rue Saint-Denis." (Plan de Paris - Merian (1615))
(Félix et Louis Lazare, 1844).

     Guillot, dans son ouvrage Paris qui souffre (1888) (Guillot - Paris qui souffre), fait remonter l'existence de la morgue du Grand Châtelet au moins au XIVe siècle. Il s'agit d'un arrêt, daté du 23 décembre 1371, décidant que "c'est aux sœurs qu'il appartient de pourvoir à l'ensevelissement des corps venant de l'Hôtel-Dieu de Sainte-Catherine, soit qu'iceux corps soient apportés du Chatelet de Paris ou dudit Hôtel-Dieu".

     Il résulte de cet arrêt qu'il y avait déjà, à cette date, un lieu où les corps étaient déposés, et que les sœurs de Sainte-Catherine étaient chargées de leur enterrement au cimetière des Saints-Innocents. Pour cette pieuse mission, ces religieuses recevaient une légère redevance, ce qui leur permettait, entre autres, "de recevoir toutes pauvres femmes ou filles pour chacune nuit, les héberger pour trois jours consécutifs, les panser, traiter et chauffer de charbon quand la saison le requiert". Leur institution, qui était établit depuis le onzième siècle, disparut à la Révolution. Les derniers vestiges, rue Saint-Denis, disparurent lors de l'ouverture du boulevard de Sébastopol.

     Les prisonniers qui étaient amenés au Châtelet étaient mis dans une geôle, la Morgue, où deux guichetiers les fouillaient, les examinaient et les dévisageaient pour retenir leurs traits. Il y avait, à côté, une autre salle, dite Basse-Geôle, où l'on déposait les cadavres non reconnus ou non réclamés sur-le-champ. Et c'est à travers un soupirail que l'on venait regardait les corps. Cette Basse-Geôle finit par être appelée elle-même Morgue.

     Le sens du mot morgue a évolué dans le temps. Le premier sens signifie "arrogance ridicule, mine, contenance grave, orgueilleuse" (Ménage, 1650). Dans le Dictionnaire de l'Académie française, en 1694, on le trouve sous son second sens "Endroit à l'entrée d'une prison où l'on tient quelque temps ceux que l'on escroue, afin que les guichetiers puissent les regarder fixement et les reconnaître". Cela vient du verbe morguer, dont l'un des sens signifie justement "regarder fixement, examiner avec morgue" (avec attention). Le "Morgueur [est] le guichetier qui tient le guichet de la morgue. Dans les grandes prisons, il y a au moins deux morgueurs" (Furetière, 1727). Le Dictionnaire de l'Académie donne, en 1718, la troisième signification "On appelle ainsi morgue, ou basse-geôle, un endroit au Châtelet, où les corps qu'on trouve morts sont exposés à la vue du public, afin qu'on puisse les reconnaître".

     L'emplacement réel de la basse-geôle, ou morgue, à l'intérieur du Châtelet n'est pas connu. Dans un ouvrage de 1702 (La Géométrie, de Manesson Mallet), se trouve une estampe représentant "la cour du Grand-Châtelet ; au fond, à gauche de la grande porte du milieu, se trouvent deux petites portes, la première était la porte de la morgue, la seconde conduisait à l'endroit où on lavait les cadavres". On retrouve cette disposition dans l'ouvrage de Jean la Caille (1714) "Elle est représentée au fond de la cour par deux petites ouvertures et la légende porte : "Cour du Châtelet, où est la Morgue, en laquelle on expose tous les corps morts que l'on trouve dans les rues et aussi ceux que l'on trouve noyés". Par contre, dans un ouvrage de 1805, publié à Londres, "une estampe représente l'entrée de la Morgue, non plus à gauche dans la grande cour, mais, en dehors, à droite au-dessus d'un perron de quelques marches, le long de la rue et près des voûtes conduisant dans l'intérieur du Châtelet" (La Basse-Geôle du Châtelet).

     La Basse-Geôle, ou Morgue, se composait de deux pièces. Dans l'une, on lavait les corps avec l'eau d'un puit qui existait encore en 1840, dans l'autre, se faisait l'exposition des corps.
    "C'était alors un endroit humide, sombre, un réduit infect d'où s'échappaient sans cesse les émanations les plus fétides ; là, les cadavres, jetés les uns sur les autres, attendaient que les parents, une lanterne à la main, vinssent les y reconnaître."

     A partir du du 9 floréal an VIII (20 avril 1800), une ordonnance du préfet de police Dubois, règle certains détails de service et la tenue du registre d'inscription  :
    6 - Aussitôt la réception du cadavre à la basse-geôle, il sera exposé aux regards du public, avec les précautions dues à la décence et aux mœurs ; ses vêtements seront suspendus à côté, pour aider à la reconnaissance ; cette exposition durera trois jours.
  10 - Il sera aussi tenu à la basse-geôle un registre où seront inscrits, jour par jour, la date d'entrée des cadavres, leur signalement et les causes présumées de leur mort, ainsi que la date de leur sortie, soit pour être inhumés soit pour être remis aux réclamants.

     Le 29 thermidor an XII (17 août 1804), un arrêté du même préfet de police Dubois prescrit la fermeture de la Basse-Geôle.
  1 - A compter du 1er fructidor prochain, la basse-geôle du ci-devant Châtelet sera et demeurera fermée.
  2 - A compter du même jour , les cadavres retirés de la rivière ou trouvés ailleurs, dans le ressort de la préfecture de police, et qui n'auraient pas été réclamés seront transportés et déposés dans la nouvelle Morgue, établie dans la place du Marché-Neuf, division de la Cité
.




Pour en savoir plus...

     Sur la place située au nord du Grand Châtelet, se tenait un marché, d'où son nom d'"Apport-Paris" (Le Grand-Châtelet). C'est là que se trouvait la Grande Boucherie de Paris.

     En 1804, le Grand-Châtelet fut démoli, et sur son emplacement on créa une place, au centre de laquelle on éleva une fontaine haute de 16,90 mètres, en forme de palmier et surmontée d'une Victoire ailée (d'où son nom de Fontaine aux Palmiers), célébrant les victoires de Napoléon Ier (on peut d'ailleurs la voir, toujours au même emplacement !). "La place était étroite, mal nivelée, encaissée entre des maisons grise, toujours mouillée par l'eau d'une fontaine". Au fond, se trouvaient le restaurant du Veau qui tette, et un grand magasin de faïences (Charton, 1866).

     Par décrets des 21 juin et 29 juillet 1854, lors de l'ouverture du boulevard de Sébastopol par Haussmann, la place fut complètement transformée, et considérablement élargie. Comme la fontaine n'était plus au centre, on n'hésita pas à la déplacer, et on en profita pour la surélever de trois mètres. De part et d'autre de la place, se trouvent deux théâtres. D'un côté (à l'ouest) le théâtre du Châtelet, construit en 1862, à l'emplacement du Cirque du boulevard du Temple. Lui faisant face (à l'est), Le Théâtre-Lyrique, appelé aussi Théâtre Sarah Bernhardt, car cette grande tragédienne le dirigea de 1898 à 1923, et y triompha dans l'Aiglon, d'Edmond Rostand, en 1900. Il deviendra le Théâtre de la Ville. "Les voies nombreuses qui s'y réunissent (boulevard de la Cité et de Sébastopol, avenue Victoria, rue Saint-Denis et des Lavandières, quais de Gèvres et de la Mégisserie) y amènent toute la journée quantité de passants affairés, de voitures et d'omnibus. Les théâtres y font durer le mouvement et la vie bien avant dans la soirée" (Charton, 1866) (La place du Châtelet).


   [ 1 / 3  ] 


  


© 2003 -    -   L. H. O. R. B. I. S.